Manifestation ou pas 

Manifestation. Un mot qui a résonné en moi bien avant que je n’en comprenne le véritable sens. Adolescente, grandir dans le tumulte du Printemps arabe, c’était grandir avec ce mot omniprésent, chargé de colère, d’espoir, de feu. Chaque reportage, chaque page de journal, chaque image sur l’écran me confrontait à cette réalité que je n’avais pas le droit d’approcher. Mon père  paix à son âme avait été clair, ferme, presque inflexible : « Tu n’iras jamais là-bas. » Là-bas, c’était ce monde parallèle où l’on criait, on chantait, on pleurait en masse. Là où l’individu disparaissait dans une vague de revendications.

Et pourtant, j’en rêvais. J’imaginais ce que cela devait être de faire corps avec des inconnus, de vibrer d’un même souffle, de faire face à un monde qui semblait sourd. Je les observais de loin, ces foules, comme on contemple une aurore boréale : belle, mystérieuse, inaccessible. Les livres et les journaux devenaient mes fenêtres sur ces scènes interdites.

Plus tard, bien plus tard, j’ai reçu des invitations. Des appels directs, insistants parfois. Mais à chaque fois, je trouvais un prétexte :l’emploi du temps, la fatigue, un travail à finir. En vérité, c’était la peur. La peur d’enfreindre une frontière invisible, mais profondément ancrée en moi. Je me suis souvent demandée : est-ce vraiment mon père qui m’interdisait encore, ou était-ce moi qui ne croyais pas entièrement à ce que j’affichais ? Était-ce une rébellion étouffée ou une conviction floue ?

Un jour, j’ai voulu voir. De mes propres yeux. Comprendre. Alors, je suis allée là où se rassemblent ceux qui refusent le silence. Je me suis arrêtée. J’ai écouté. J’ai observé longuement, posément. Je parlais avec les autres, je filmais, je lisais tout ce que je pouvais. La manifestation, ce phénomène collectif qui m’avait tant fascinée, devenait presque une étude anthropologique. Une obsession douce, méthodique.

Et puis, quelque chose s’est brisée. La lumière s’est atténuée. J’ai compris que derrière les cris, souvent, il y avait des scripts. Que ces mouvements que je croyais spontanés étaient parfois chorégraphiés. Que ce peuple en marche portait parfois des slogans qui ne venaient pas de ses tripes, mais d’un ailleurs stratégiquement pensé. La foule devenait un outil, manipulable, prévisible. Une illusion de pouvoir, offerte pour canaliser les colères et servir des desseins que peu soupçonnaient.

Aujourd’hui, je regarde les manifestations avec une certaine tendresse, mais aussi une désillusion profonde. Ce qui devait incarner l’espoir, le sursaut collectif, s’est souvent vidé de sa substance. C’est devenu un décor où les passions s’épuisent, où les voix se perdent. Un outil devenu paresseux, fatigué, presque creux.

Et pourtant, au fond de moi, j’aimerais croire qu’un jour, quelque part, une manifestation sincère renaîtra. Pas une mise en scène, mais une onde authentique. Un véritable cri du peuple. Pas pour être entendu par le pouvoir, mais pour se reconnaître lui-même.

Depresion 

Je suis malade…d’un mal invisible, contagieux, insidieux.Il ronge autant le corps que l’âme, s’infiltrant doucement dans l’esprit des plus jeunes comme des plus vieux.Il tourmente les pensées, fige la créativité, épuise les forces, et parfois, sans prévenir… il arrache des vies entières.Certains l’appellent dépression, moi je l’appelle une mort prématurée, une disparition silencieuse.

Silencieuse, mais dévastatrice, la dépression fait plus de dégâts qu’une blessure visible.Elle est une agonie lente, une extinction progressive de la lumière intérieure, une lente noyade dans une mer de solitude.C’est un cri que personne n’entend, un naufrage intérieur que personne ne tente de sauver.C’est un détachement brutal du monde, des autres… et pire encore, de soi-même.

La dépression, c’est mourir un peu plus chaque jour, à petits feux, sans que personne ne s’en rende compte, sans que personne ne le ressente, sans que personne ne le comprenne vraiment.C’est vivre sans vivre, c’est n’avoir aucune idée et en même temps en avoir mille qui s’entrechoquent dans la tête.C’est apprendre à connaître le vide… et, d’une manière étrange, à s’en accommoder, à presque l’aimer.

Quand j’étais petite, je croyais que la dépression était une forme de folie.Aujourd’hui, je n’en doute plus.C’est une folie douce, discrète, sournoise : celle de rester seul dans une foule, de ne plus savoir où l’on est, de ne plus savourer les plaisirs simples, de regarder son assiette sans plus jamais goûter la vie.C’est ne plus réussir à choisir, ne plus oser créer, ne plus avoir la force d’innover, de travailler, d’avancer… c’est voir tout devenir flou, lent, lourd, insignifiant, incohérent.C’est porter en soi une boule d’émotions indomptables qui te suit partout, même dans ton sommeil.C’est une liste infinie de mots coincés dans la gorge, un trop-plein de noirceur qui s’infiltre jusque dans les recoins les plus lumineux de ton être.C’est perdre le goût des choses, le goût des gens, le goût de soi-même.

Des fois je me demande où est la sortie ? Où est l’issue de secours ?Où est cette porte entrouverte qui mène vers un peu de lumière ?Comment la trouver ? Comment franchir ce seuil fragile entre la survie et la vie ? Et parfois, une autre pensée surgit, aussi sournoise que le mal lui-même :Et si, peut-être… il n’y avait pas de sortie ?

La Palestine : mon indifférence assumée

Pour une arabe, il m’a toujours semblé presque impensable d’avouer ,sans craindre d’être jugée, que le conflit autour de la Palestine ne m’a jamais réellement touchée. Ni de près, ni de loin.

Alors que tant d’autres de ma génération vibraient au rythme des slogans, des marches enflammées, des discussions passionnées qui faisaient vibrer les rues et les foyers, moi, je suis restée en marge.

À l’école, dans les cours de récréation, même dans les débats adolescents, la Palestine semblait lointaine, presque irréelle. Ce n’était pas un sujet qui habitait mes conversations, ni un combat qui résonnait dans mon cœur d’enfant.

Aujourd’hui, avec le recul, et à travers mes lectures et mes recherches, je comprends,je mesure l’ampleur du drame et je reconnais la profondeur de cette blessure collective. Pourtant, malgré cette compréhension intellectuelle, quelque chose en moi demeure distant, presque froid. Mon cœur ne se froisse pas comme il devrait face à cette douleur humaine immense.

Peut-être parce que la politique, cette machine froide et implacable, a fini par étouffer l’essence même de cette cause. Ce qui aurait dû rester une plaie humaine, un cri de dignité, est devenu un champ de bataille d’idéologies, de calculs et d’intérêts.

Ou peut-être est-ce à cause de ce peuple perdu, qui a laissé sa tragédie être instrumentalisée. Cette cause, sanctifiée par tant, s’est vue, peu à peu, dégradée par ceux-là mêmes qui en portaient l’étendard, transformée en symbole de victimisation éternelle, banalisée au fil des générations, au point que certains y trouvent un abri plutôt qu’une révolte.

Peut-être aussi que ce malaise vient des jeunes d’ici, de mon pays et d’ailleurs, qui, au fil des années, ont laissé la haine dévorer la compassion. Une haine sans nuance, aveugle, braquée contre les juifs, contre les dirigeants, contre tous ceux qui n’épousent pas leur point de vue. Ils ont adopté des discours empruntés à des idéologies radicales, souvent sans même en comprendre les racines, mêlant tout dans une cacophonie où la colère l’emporte sur la réflexion.

Je vois des doctrines étranges se superposer, des voix s’élever dans un vacarme stérile, des propagandes s’entrelacer… et tant d’âmes perdues, malmenées, influencées.Et je voudrais leur dire : ouvrez les yeux! La Palestine ne vous appartient pas. Elle n’est pas votre étendard. Elle est d’abord l’histoire d’un peuple, avec ses blessures et ses contradictions. Un peuple qui, trop souvent, a choisi de politiser sa douleur au lieu de l’humaniser.Et moi, avec toute ma distance, je choisis d’aimer en silence ce qu’il y a de plus pur dans cette crise: l'indifférence.

Maya mon amour 

J’aime une femme… Ces mots résonnent en moi avec une intensité brûlante, presque douloureuse. Ce n’est pas un simple élan du cœur, ni un désir passager. Ce que je ressens dépasse l’admiration, transcende l’attirance. C’est une onde pure, une vibration haute, un frisson lent et profond qui parcourt ma peau quand sa voix s’élève. Un trouble délicieux m’envahit dès que son nom effleure mes pensées. Mon cœur, ce traître magnifique, s’affole à la simple évocation d’elle.

Elle s’appelle Maya. Marocaine, installée aux États-Unis, elle incarne la lumière apaisée de la quarantaine, cette période où les femmes deviennent intemporelles. Je ne l’ai jamais rencontrée, jamais côtoyée, et pourtant… elle est là, en moi. Intimement présente. Elle m’habite comme un souffle chaud dans mes silences. Elle a redonné sens à mes réflexions, de la densité à mes jugements, du goût à mes pensées. Elle m’a influencée avec une douceur subtile, presque insidieuse, et Dieu sait combien je suis difficile à atteindre.

Elle a façonné des parts de moi sans jamais forcer. Tout s’est glissé en moi avec une fluidité presque magique, comme si elle connaissait la musique intérieure de mon âme.

Nous partageons les mêmes valeurs, les mêmes révoltes. Nous avons traversé des tempêtes semblables, laissé derrière nous des cicatrices que le temps n’a pas su guérir. Et malgré tout, nous avançons encore, droits, entiers. Je me vois en elle. Je me projette à travers ses mots, ses colères, sa tendresse, sa lucidité. Elle est le reflet le plus pur de ce que je comprends du monde. Elle me représente.

Maya ne déteste pas les hommes. Elle rejette ceux qui jouent à l’homme sans en porter la responsabilité. Elle ne méprise pas la masculinité,elle méprise ce qu’elle est devenue, réduite, défigurée, dans un monde qui érode l’âme masculine. Elle chérit la force qui sait s’incliner, la virilité qui sait caresser. Elle ne se moque pas de la douceur des hommes, elle se moque de l’état dans lequel ils ont sombré.

Elle distingue avec finesse le gentleman du pseudo-homme. Elle les a suffisamment observés pour comprendre leur faille, leur essence, leur vérité. Et à travers cette sagesse, elle secoue les esprits. Elle met en lumière ce que beaucoup préfèrent taire. Elle réveille les femmes endormies dans des illusions confortables, elle libère des vérités qu’on avait enterrées sous des compromis.

Maya, si un jour je devais adorer une femme, ce ne pourrait être que toi.Merci d’exister. Merci d’être cette onde qui me traverse sans me posséder.